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La carte mémoire du président Ali Bongo

Le devoir de mémoire ne porte pas seulement sur les morts et les tragédies de l’histoire, il peut s’appliquer à une parole marquante. On l’adjoindra, pour les trois ans de pouvoir d’Ali Bongo, à un devoir d’inventaire, sommaire, fondé sur le discours prononcé par le président gabonais lors de sa prestation de serment, le 16 octobre 2009. Ali Bongo sur parole, 156 semaines après.

16 octobre 2009-16 octobre 2012, trois ans déjà que le président Ali Bongo est au pouvoir. Tout au long de ces jours de règne, il s’est employé à bâtir le socle de sa politique à travers une kyrielle de réformes pour moderniser la nation et la doter d’une économie prospère. Il est certes un peu tôt pour récolter les fruits de ces réformes, mais le pouvoir peine visiblement à construire la prospérité promise durant la campagne électorale de la présidentielle 2009 et lors du discours de prestation de serment auquel il convient de se référer, les promesses ayant été solennelles.

En ce troisième anniversaire de la prestation de serment d’Ali Bongo, il semble en effet judicieux de consulter la carte mémoire du président, de revisiter ses déclarations, ses faits les plus importants pour mesurer le chemin parcouru. Au passage, une carte mémoire permet de stocker des fichiers qu’on ne voudrait pas perdre, en vue de les consulter et s’y référer lorsque besoin s’en trouve. Dans ce stockage mémoriel concernant le président Ali Bongo, on trouve, pêle-mêle, l’électrochoc du 19 octobre 2009, surnommé «Tsun’Ali» ; l’interdiction de l’exportation du bois en grumes ; les états généraux de l’éducation nationale ; l’institution de la journée de travail continue ; les mesures et promesses des conseils des ministres délocalisés ; l’organisation de la Coupe d’Afrique des nations ; etc. Mais, parce qu’«au commencement était le verbe», on se remémorera du discours, sans doute le plus important à ce jour, prononcé par le 3e président du Gabon au moment où il a été investi dans ses fonctions, le 16 octobre 2009.

Élu avec 41,79 % des suffrages, Ali Bongo, au cours de cette allocution, avait tranché au sujet des clivages nés de la présidentielle anticipée de cette année-là en déclarant : «Je suis désormais le président de tous les Gabonais. A ce titre j’entends travailler avec toutes les forces de notre pays, qui partage ma vision et mon idéal pour le Gabon.» Hélas, ceux des fonctionnaires et autres cadres des entreprises parapubliques qui ne l’avaient pas soutenu durant la campagne électorale en ont été pour leurs frais. Nombreux d’entre eux ont été mis au ban et n’ont été jusqu’à ce jour jamais réhabilités. Ils seront rejoints par d’autres qui avaient été nommés dans le gouvernement dit du PNUD d’André Mba Obame. Pour ces derniers les salaires ont été coupés et n’ont jamais été rétablis. En excluant certains, le président n’aura donc pas tenu la promesse d’être le chef de tous les Gabonais.

Dans la même adresse du 16 octobre 2009, Ali Bongo notait : «Notre pays est en train d’écrire grâce à vous, une nouvelle page de son histoire politique, économique et sociale. Je veux qu’elle soit entièrement consacrée à la résolution des attentes et des préoccupations des aînés, des femmes, des jeunes et de toutes les composantes de la société gabonaise. C’est pourquoi l’urgence nous commande d’aller vite de l’avant, pour bâtir ensemble un Gabon véritablement émergent.» On note qu’en boostant la mise en activité de la CNAMGS, le président s’est préoccupé des populations. Il a institué la prise en charge de leurs problèmes médicaux et l’allocation d’un revenu trimestriel aux Gabonais économiquement faibles. De même, des centres de traitement ambulatoire ont été créés dans chaque province, la gratuité du test de dépistage et des soins du virus HIV/Sida a été instaurée ainsi qu’un dispositif de prise en charge des personnes touchées par ce fléau. Si le président avait alors indiqué qu’il faillait «aller vite», on devra noter que le pays est tout de même en retard sur biens des aspects sociaux (les 5 000 logements par an promis) et infrastructurels (échangeurs à Libreville, stade omnisports inachevés au terme du délai d’un an annoncé).

«J’ai bien compris qu’il y avait urgence d’agir vite pour redonner confiance et favoriser l’émergence d’un nouvel espoir. L’espoir de voir disparaître la pauvreté, le chômage, la précarité et toute les inégalités qui font de l’exclusion et cristallisent les frustrations», avait alors laissé espérer Ali Bongo. Las, les frustrations ont été exacerbées avec la destruction sans retombées immédiates de nombreuses habitations en bordure des artères de la capitale. La mesure portant sur le revenu minimum mensuel à 150 000 francs CFA n’a pas été respectée par tous tandis que la proportion de la population vivant en-dessous du seuil de pauvreté s’est officiellement enrayée autour de 33 % et serait, selon les témoignages recueillis dans les quartiers populaires, en nette augmentation. «Aujourd’hui, les disparités sociales constituent un défi. L’atteinte d’ici à l’horizon 2015 de la cible du taux de pauvreté fixée à 13,5 % dans le cadre des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) s’avère peu probable au regard des conclusions du Troisième Rapport National sur le suivi des OMD (2010)», lit-on, concernant le Gabon, dans le Document de stratégie pays 2011-2015 de la Banque africaine de développement.

Le président avait pourtant laissé entrevoir, le 16 octobre 2009 : «L’espoir d’aller dans de bonnes écoles, l’espoir de se faire mieux soigner, l’espoir d’être mieux logé, l’espoir d’aller sur nos routes en toutes saisons, l’espoir de recevoir sa juste part des fruits de nos richesses, l’espoir de vivre en toute sécurité.» On notera, concernant le revenu par habitant en Afrique, que le Gabon s’est classé au 3e rang en 2011 avec un Produit intérieur brut (PIB/habitant) de 10 982 dollars, derrière les Seychelles (11 117 dollars) et la Guinée Équatoriale (14 374 dollars). Une performance cependant relativisée par la Confédération gabonaise du travail (CGT) qui pense que «la concentration de la richesse se retrouve dans les mains de quelques 2% des Gabonais qui possèdent 98% des richesses, alors que 99% de la population vit dans la pauvreté». De même, on déplore qu’en trois ans de pouvoir aucune nouvelle école n’ait été construite. Ce qui a d’ailleurs conduit à transformer une partie du stade de l’Amitié à Angondjé, en salles de classe. Le chantier de la route nationale, pourtant entamé, tarde à livrer ses premiers kilomètres utilisables, le déficit de logements est resté statique tandis que l’insécurité n’a pas fermement été combattue, poussant une télévision européenne à réaliser cette année, un documentaire honteux pour le Gabon sur les crimes dits rituels.

Toujours lors de sa prestation de serment, le président Ali Bongo avait indiqué, «Je veux un Gabon où les entreprises prospèrent et créent des emplois. Je veux un Gabon dynamique tourné vers le progrès et l’excellence, en somme je veux un Gabon performant qui gagne, qui se développe.» On note, concernant la qualité de l’environnement des affaires, que le Gabon est le pays le moins dangereux de la Cemac. Il a été classé au 10e rang africain du Risque pays 2012 par la Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur (Coface). Des efforts ont donc été réalisés à ce niveau et, même si l’information avait prêté à la controverse, la présidence de la République a annoncé, en septembre dernier, que «le nombre de PME au Gabon a augmenté de 22,3 % entre 2010 et 2011, un signe supplémentaire des bonnes performances de l’économie du pays qui connaît un taux de croissance supérieur à 6 % depuis 2010.» Reste à savoir si ces entreprises sont parvenues à créer des emplois et à les conserver.

Le 16 octobre 2009, Ali Bongo avait également indiqué : «Je veux un Gabon exempt de la corruption et de l’injustice. Je veux un Gabon où les élites circulent et se renouvellent, je veux un Gabon où la justice est au service de tous.» On ne saurait pourtant affirmer qu’une circulation des élites a été observée ces trois dernières années. Si le tout premier conseil des ministres d’Ali Bongo président, tenu le 19 octobre 2009, avait débouché sur un vaste mouvement de personnels dans l’administration publique et dans les organismes publics et parapublics, les choses n’ont plus bougé depuis lors. Le général Raphaël Mamiaka s’est d’ailleurs plaint, le 16 octobre dans Gabon Matin, d’une confiscation des choses par les jeunes : «le jeune gotha politique gabonais ne doit pas faire dans l’exclusion. Aujourd’hui on a comme l’impression que le Gabon n’appartient qu’à une catégorie de personnes, notamment les jeunes, qui s’activent et qui crient». La justice, quant à elle, est toujours aussi gangrénée par le favoritisme, le manque d’indépendance et la corruption, ainsi que le dénoncent régulièrement de nombreux journaux gabonais. La Commission nationale de lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite (CNLCEI) n’a jamais donné de fruits, se plaignant de la lourdeur pour mettre en place la Cour criminelle spéciale où doivent déboucher les dossiers en sa possession.

On ne saurait pourtant dire qu’Ali bongo n’a rien réalisé. Un bilan éloquent a d’ailleurs été effectué par le chef de l’État lui-même lorsqu’il a dressé, dans son discours à la nation le 16 août 2011, un état des lieux des réformes et des chantiers initiés depuis son accession au pouvoir en octobre 2009, visant l’amélioration des conditions de vie des Gabonais et la mise en place du Gabon «émergent». Mais, le discours prononcé lors de sa prestation de serment et qui reste l’élément essentiel de sa carte mémoire, est loin, il faut le reconnaitre, de la réalité vécue depuis lors.

La direction du Gabon a été confiée à Ali Bongo pour 2 555 jours, il vient de boucler 1 095 jours à la tête du pays. Le président est donc à 42,85 % du temps qui lui a été imparti. Près de la moitié du mandat, diront les pessimistes ; même pas la moitié, rétorqueront les optimistes. A bien de niveaux, pour ce que les Gabonais voudraient voir comme retombées (logement, infrastructures routières, sécurité, emploi), on est bien loin de 42 % de réalisations sur les promesses du 16 octobre 2009. A moins que le mandat présidentiel ne soit pas de sept ans.

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