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Sida : le Gabon au cœur des recherches du Dr Erwann Loret

Loret-MavoungouAuteur d’un essai clinique concernant un vaccin contre le virus du Sida, le Dr Erwann Loret de l’hôpital La Conception de Marseille, a pris part au symposium scientifique international organisé à Libreville pour centenaire de l’arrivée de Schweitzer au Gabon. Interviewé, il parle de la fameuse protéine Tat (transactivating), du rôle du Gabon dans ces travaux et de son projet avec le Pr Mavoungou, un célèbre chercheur Gabonais.

Gabonreview : Qui est donc Erwann Loret ?

Erwann Loret : Je suis le docteur Erwann Loret, je dirige le service de recherche sur le VIH à Marseille et je conduis actuellement un essai clinique d’un vaccin thérapeutique, c’est-à-dire sur des personnes qui sont déjà infectées. Ce qui intéressera les Gabonais c’est que l’origine du projet vient de l’observation de femmes, au Gabon dans les années 1980, qui avaient été infectées pars le VIH et qui ont réussi à se débarrasser du virus, à guérir du VIH. Nous avons donc étudié ce qui s’était passé, pendant cette période au Gabon et nous avons pu reproduire en laboratoire, sur différents modèles, de façon à comprendre comment ces elles avaient pu se débarrasser du virus, et nous allons tenter de reproduire, à Marseille actuellement, ce vaccin qui, normalement devrait permettre d’avoir un effet sur ces patients séropositifs qui devrait leur permettre de développer une réaction immunitaire dans l’objectif de leur permettre de lutter efficacement contre le virus.

Par qui les travaux sur la base desquels vous avez travaillé ont-ils été compilés au Gabon ?

A l’origine, il s’agissait d’une étude de l’Institut Pasteur qui avait été faite dans les années 1980, puis après nous avons repris ces travaux dans les années 1990 (voyez comment ça a été un long processus) en collaboration avec différents groupes pharmaceutiques avec lesquels nous avons pu confirmer l’efficacité du vaccin sur le modèle macaque : vous savez que le modèle macaque à l’énorme avantage de pouvoir faire une réaction immunitaire comparable à celle qu’on peut observer chez un être humain et surtout, nous pouvons tester l’efficacité d’un vaccin sur ce modèle avec des virus hybrides qui nous permettent, évidemment, de valider l’efficacité d’un tel produit. Vu que le macaque est le modèle le plus proche de l’être humain.

Aujourd’hui, l’Agence française du médicament (AFM) nous a autorisé, après avoir évalué tout le dossier fabriqué et vu tous les lots cliniques fabriqués, à pouvoir tester ce vaccin qui, à l’origine, venait de patients Gabonais, dans les années 1980. C’est donc pour cette raison que je suis très heureux d’être ici. Je remercie pour cela les organisateurs, parce que pour moi, c’est comme arriver à la source du projet, et Donatien Mavoungou m’a dit que c’est Mme Oyima, chez qui avait été cloné le virus qui nous a permis de comprendre comment elle a pu développer une réaction immunitaire protectrice contre le VIH. Pour moi, c’est vraiment aujourd’hui un moment très émotionnel de pouvoir être là, de pouvoir venir au Gabon pour dire tout l’espoir que nous avons sur ce vaccin, à ce jour.

Que pouvez-vous dire au sujet de ce vaccin TAT qui a fait beaucoup de bruit ?

Je suis très heureux de cette question parce que c’est là où on arrive sur le principe même de notre vaccination. Comme vous savez, le problème du Sida c’est comment arriver à se débarrasser des cellules infectées par le virus. Et pendant de nombreuses années, nous avons développé différents modèles. En France, on essaye de développer l’immunité cellulaire, et notre approche est plutôt de détruire cet écran de protection qui protège ces cellules infectées et qui est cette protéine TAT, extracellulaire. Il faut savoir que le virus, dès qu’il infecte une cellule, il va ordonner à cette cellule de sécréter une protéine qui va agir comme une toxine pour les cellules du système immunitaire qui sont censés attaquer et détruire ces cellules infectées par le virus. C’est donc cette protéine TAT qui joue ce rôle de toxine : ce TAT extracellulaire n’est pas reconnu par le système immunitaire.

Mme Oyima qui avait été infectée par le VIH comme 23 autres Gabonais, à l’époque, a eu la chance de pouvoir développer une réaction immunitaire qui neutralise cette protéine TAT. Et c’est ce que nous avons commencé à reproduire à Marseille. Les résultats de la phase 1 sont déjà très satisfaisants, puisque nous avons une excellente tolérance. Une réponse immunitaire qui permet aux patients de reconnaître les variant TAT de différentes régions dans le monde, alors que normalement, ils sont incapables de le faire.

Ce vaccin permettra donc de générer des anticorps neutralisants qui reconnaissent toutes les formes de la protéine TAT. Pourquoi ils agissent ainsi ? Simplement parce qu’ils reconnaissent une région qui ne mute jamais, qui reste inchangée. Uniquement la vaccination avec la variation de différents TAT «OYI» de Mme Oyima permet d’avoir cette réaction immunitaire neutralisante contre toutes les formes de la protéine TAT, et ainsi, les cellules qui ont été infectées par le virus n’ont plus leur protection et elles peuvent être détruites par les cellules de l’immunité cellulaire.

Il nous est parvenu que vous entreprenez un partenariat avec un Gabonais, le Professeur Mavoungou. Pouvez-vous en dire plus ?

Ce qu’on m’a dit de lui a été très intéressant parce que le Pr Donatien Mavoungou développe des molécules qui sont des antagonistes de la protéine TAT. C’est-à-dire que la protéine TAT a beaucoup de fonctions : elle permet en particulier l’infection des cellules, directement de cellule à cellule. Et «Imunorex», la molécule qu’a développée le Pr Mavoungou est effectivement un inhibiteur de la protéine TAT.

Mais ce qui serait intéressant c’est, après la validation de notre vaccin, de voir si on peut avoir une synergie entre «Imunorex» et notre vaccin, dans le cadre d’un essai clinique de phase 3 qui pourrait se dérouler à Libreville et dont nous allons mettre au point toutes les procédures. Il y a d’abord des recherches fondamentales nécessaires pour démontrer cette synergie et le potentiel entre le TAT et l’Imunorex. Nous allons donc monter, à Libreville, un protocole avec le vaccin. J’en suis davantage heureux parce qu’au niveau éthique, nous testons un vaccin à Marseille qui sera également efficace en Afrique, même si jusqu’à présent on a plutôt fait l’inverse.

Justement, en écoutant le Professeur Mavoungou par le passé, il parlait d’une variation de génome selon les zones géographiques et les patients infectés. Vos recherches aboutiront-elles à une sorte de vaccin universel ?

Vous avez tout à fait raison d’évoquer ce point. Je dirai pour ma part que le problème des mutations du VIH a toujours été un des enjeux majeurs dans le développement d’un vaccin efficace. Je dirai également qu’à la fois, au niveau éthique, développer un vaccin qui soit aussi bien efficace en Europe, en Amérique du nord que dans les pays industrialisés, en Afrique ou en Asie, c’est oublier que le Sida, actuellement se développe de manière exponentielle et engendre un véritable problème de santé publique.

Pour moi, il faut absolument avoir un vaccin qui soit efficace partout, non seulement au niveau éthique, mais que veut dire un vaccin efficace partout ? C’est un vaccin qui ne sera pas sensible aux mutations du virus. C’est-à-dire cibler des régions où le virus ne peut pas muter, sinon il perd son efficacité, il ne peut plus affecter ; c’est exactement ce que nous permet le vaccin «OYI», celui de cibler une région très conservée chez tous les variants TAT. Et cette région, nous pouvons apprendre au système immunitaire à la reconnaître. Je remercie donc Mme Oyima et les 23 autres patients qui, dans les années 1980, avaient accepté de se faire suivre pendant 2 ans. Je suis très heureux d’être au Gabon et de pouvoir faire partager tous nos espoirs avec mes amis Gabonais.

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