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Emile Bibalou Aby Bouka a fait ses valises

Abyb01Emile Bibalou Aby Bouka, ancien ministre de la Communication (1969-1973), ancien député, est sorti du film de la vie, le 1er juillet 2013 à Libreville. Ses obsèques ont fait l’objet d’un reportage de Timothée Memey, journaliste à Africa n°1. Lyrique et émouvant.

«Je suis fatigué, j’ai déjà fais mes valises, la voiture est prête, je m’en vais à Ndéndé». Ce sont là les dernières paroles d’Emile Bibalou Aby Bouka à ses fils venus à son chevet peu avant son dernier soupir, le 1er juillet 2013 à la polyclinique Chambrier, à l’âge de 87ans. Les dernières paroles de cet ancien ministre qui sonnaient comme l’extrême onction d’un voyage sans retour, étaient le signe évident que le patriarche faisait là ses derniers adieux. L’homme, ces dernières années, en effet, était assiégé par la maladie qui le torturait sans répit.

C’est le vendredi 12 juillet dernier, dans l’après midi, que le cortège funéraire arrivait à sa résidence de Sotega à Libreville où était exposée sa dépouille mortelle. Dans un costume couleur beige, elle était là, couchée dans son cercueil en bois laqué qui ressemblait fort bien à l’une de ces capsules pour les voyages interstellaires dans les films de science fiction.

Tels des pèlerins en route vers la montagne sacrée, parents, amis et connaissances arrivaient et repartaient en petit groupe. De nombreuses délégations, gerbes de fleurs à la main, faisaient leur entrée dans la salle funéraire afin de s’incliner devant l’illustre disparu. Parmi elles, celle de la présidence de la République et celle du ministère de la Communication des Postes et de l’Economie Numérique, conduite par son ministre Blaise Louembé. Blaise Louembé qui, quelques jours avant sa mort, avait écrit à la famille afin d’entrer, via son conseiller Gislain Etoughé, en possession d’une photographie du disparu afin de reconstituer un fonds documentaire et la galerie des portraits de ses prédécesseurs au ministère dont il a aujourd’hui la charge. Cette missive à la famille avait, sans doute, quelque chose de prémonitoire ; un symbole qui ne pouvait tromper. Car, ce sont autant de petits signes anodins qui annoncent un événement malheureux ou heureux.

Après un torrent de larmes, le groupe culturel «Ikokou I ban ba Dimbu» se met en scène. Une chorégraphie qui met une touche bien Bantu à côté des chants grégoriens et autres symphonies funèbres exécutées en pareille circonstance. Puis la chorale, «Les voix de Tsamba Magotsi», prend le relais jusqu’au petit matin lorsque le cortège s’ébranle en direction de l’aéroport de Libreville où attend un ATR qui met ensuite le cap sur Mouila. Là, dans le chef-lieu de la Ngounié, le cortège funéraire, laborieusement, reprend sa route vers Ndendé sur une voie poussiéreuse en pleine restauration.

Arrivé à Ndendé après deux heures de route, la dépouille mortelle de l’ancien député et sa suite font le tour de cette ville. Une ville qui l’a vu naître et pour laquelle il s’est investi pleinement du temps où il était aux affaires. Passant par le «Carrefour du Bonheur» sous les regards peinés d’un groupuscule d’individus silencieux, un malade mental fouillant la poubelle des lieux, s’assied au milieu des immondices pour observer avec une indifférence de seigneur, le passage du cortège. Muni d’un stylo à bille et d’un morceau de papier jauni par les intempéries, l’homme écrit sans cesse ; il note, sans doute, les impressions de ses illusions et semble, en même temps, faire le décompte des ordures dans son périmètre.

Des grappes d’humains postées devant leurs maisons, observent en silence, le passage du cortège, sans doute pour un ultime hommage à un des notables les plus respectés de la contrée. Le cortège poursuit son périple dans les rues de cette ville dont la plupart des voiries sont en chantier. Après le tour de ville, la dépouille et la délégation qui l’accompagne arrivent à sa résidence où grand monde attend. C’est un monde hétéroclite qui a investi les lieux. Dans la foule en larme, une silhouette à laquelle personne ne fait attention tant elle semble transparente, observe, le regard figé sur le mort. Ce bout de femme, octogénaire, qui tient à peine sur sa canne polie par le temps et l’usage, est debout et en silence. Elle scrute, sans cesse, le décor funéraire. Puis un tourbillon émotionnel l’emporte et elle fond en sanglot derrière ses grosses loupes à monture d’époque qui cachent mal les larmes qui mouillent à peine les pommettes incrustées à son visage.

Emile Aby Bouka qui est toujours couché là sur son lit de mort, est comme pris, quant-à lui, par un soudain sentiment de total bien-être intérieur. Le genre de bien-être intérieur que procure un profond sommeil après une journée bien remplie.

Au milieu de la nuit, la palabre dans la pure tradition Bantu est engagée par les deux clans représentant la ligné parentale : «Badjéma et Dimbamba». Il est ici question de connaître l’origine du sort qui a frappé le disparu. Les Dibamba qui incarnent l’autorité paternelle, sont invités à rendre des comptes sur cette terrible disparition. Sous entendu que la mort est loin d’être la fin naturelle d’un cycle de vie mais l’œuvre funeste d’un sortilège… cette palabre, héritée des ancêtres, est assez lyrique. La lignée paternelle paye enfin l’amende réparatrice exigée et le compromis est trouvé après des heures d’échanges.

Le disparu, imperturbable, toujours installé dans son lit de mort, «observe» la scène. La Chorale, «Les voix de Tsamba Magotsi», prend le relais de cette palabre. La scène est envahie par un déluge de décibels, en présence de la notabilité du coin venue lui rendre un ultime hommage.

Trois prêtres, parés de leurs costumes cérémoniaux, entrent en scène en milieu de matinée pour dire la messe afin d’obtenir l’absolution des pêchés du disparu. Après quoi, les proches se massent autour du cercueil sous le regard indigné d’un des Saints hommes, un spiritain qui pressent la pratique d’un rituel traditionnelle, en fait, la prononciation des paroles sacrés dans la tradition Bantu avant la fermeture du cercueil et la mise des scellés. Furieux et dans une diction approximative, le prêtre fend courageusement la haie autour du mort pour lancer : «Je l’ai déjà libéré du purgatoire, que voulez encore dire de plus, fermez le cercueil». Et sans mot dire, le cercueil est scellé et ainsi, on passe à côté du choc des cultures. On l’emmène enfin là où il repose désormais dans l’éternité, juste à côté de son père et de sa deuxième épouse. Ainsi s’en est allé celui qui est connu pour sa générosité légendaire…

«Mes enfants, soyez humbles, il nous le répétait si souvent», se souvient, tout dépité, l’un des enfants qui héritent de l’éducation rigoureuse de leur géniteur.

Timothée Mémey, journaliste

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