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Un instantané du Gabon minier avec Régis Immongault

Immongault2De retour l’édition 2013 de l’Africa Down Under Conference, le fameux rendez-vous australien des ministres africains des mines, Régis Immongault Tatagani, ministre de l’Industrie et des Mines, a été amené à présenter la situation actuelle du Gabon minier. Manganèse de Franceville, mines de fer de Bélinga, stratégie minière sous-régionale et Gabon industriel sont au centre de cet entretien dont on retiendra, pour l’essentiel, que «le Gabon veut être maître de son destin».

Gabonreview : Monsieur le ministre, vous revenez d’Australie où vous avez pris part à l’Africa Down Under Conference. De quoi était-il question et qu’en avez-vous tiré ?

Régis Immongault : Cette conférence en Australie a réuni les ministres Africains des Mines pour échanger avec les compagnies, australiennes pour la plupart puisque d’autres compagnies de nationalités diverses se sont jointes à ce forum qui a traité des perspectives de développement de l’exploitation minière en Afrique. Nous avions, bien sûr, connaissance du contexte international, nous avons donc essayé de voir ensemble comment l’Afrique peut en tirer davantage d’opportunité pour mieux valoriser le secteur minier. Le Gabon a donc participé pour la deuxième fois à cette rencontre. L’année dernière, nous y étions à la suite de la visite du chef d’Etat en Australie, et cette année encore, le pays y a été présent dans le but de mieux vendre son secteur minier. Le Gabon bénéficie d’un potentiel remarquable dans ce secteur, même s’il est vrai que celui-ci est insuffisamment valorisé jusqu’à présent. Mais aujourd’hui, un appétit se dégage au regard des reformes qui sont faites dans le secteur, et de la politique mise en place par le chef de l’Etat en vue d’attirer davantage les juniors et majors dans le secteur minier.

Je suis donc optimiste. Il n’y a qu’à voir le nombre de compagnies australiennes opérant actuellement dans l’exploration minière au Gabon. Il y en a plus de huit, ce qui est déjà une très bonne chose, surtout qu’il y en a d’autres qui souhaitent se lancer dans le même secteur avec des perspectives intéressantes pour passer à la phase de développement. Je suis donc satisfait de cette conférence et des échanges que j’ai eus avec les opérateurs économiques. D’ailleurs, le Gabon a été à l’honneur au cours de cette conférence puisque j’ai eu la chance de faire une présentation de la stratégie du chef de l’Etat durant deux heures.

Quand on parle d’Australie, on pense à BHP Billinton. Après le retrait de cette société du Gabon, des lettres d’informations confidentielles disent qu’une autre société aurait déjà acquis le permis qui devait revenir à cette compagnie. Confirmez-vous cette information ?

Je confirme qu’actuellement nous sommes bien avancés dans les négociations avec une autre entreprise. Nous aurons l’occasion de l’annoncer officiellement. Pour ce gisement de Franceville, le chef de l’Etat souhaite que le démarrage de l’exploitation se fasse rapidement, avec pour stratégie de vendre une bonne partie de ce manganèse aux unités de transformation afin de valoriser le secteur minier et d’être en harmonie avec la stratégie du chef de l’Etat qui est de transformer les ressources naturelles sur le territoire national. Nous somme donc bien avancés, il ne reste plus qu’à signer la Convention minière et attribuer le permis à cette entreprise. Le projet de Franceville devrait donc démarrer incessamment.

Certaines personnes du domaine minier qui étaient peut-être intéressées par ce permis se plaignent de ne pas avoir eu connaissance d’un appel d’offres officiel. S’est-il agi d’une négociation de gré à gré ?

Ce n’est pas forcément du gré à gré dans la mesure où, après le départ de BHP Billinton, nous avons signifié notre intention de mettre le site rapidement en exploitation. Les compagnies intéressées étaient donc au courant, et nous avons reçu plusieurs offres y relatives d’ailleurs. Mais l’élément central et capital retenu, pour l’octroi de ce gisement, était le démarrage rapide et la récupération du personnel gabonais travaillant déjà sur ce site, ainsi que l’engagement pour l’entreprise de faire valoriser toute la production, sinon une grande partie de cette production, sur le territoire national. Ce n’est donc pas une entreprise qui venait en exploitation pour exporter la totalité de sa production à l’extérieur, non ! Parce que le projet de manganèse de Franceville doit tout justement venir renforcer les stratégies déterminées dont nous parlions tantôt. Il est clair que la plus grande partie du manganèse produit sur ce permis sera transformée localement.

Parlant justement de la création de ce pôle de ferromanganèse à Franceville, on savait qu’Abhijeet se positionnait comme un dispositif de la stratégie consistant racheter du manganèse et à le transformer sur place. On note cependant que depuis son installation, cette entreprise indienne n’a acheté aucune tonne à la Comilog (Compagnie minière de l’Ogooué). Comment l’expliquez-vous ?

Déjà, Abhijeet n’était pas installée dans le Haut-Ogooué mais plutôt sur la zone économique de Nkok. Et dans le cas d’étude que nous avons fait, nous pensions qu’il serait intéressant, puisque nous voulons bâtir un cluster minier au Haut-Ogooué dans un pôle minier métallurgique entre Moanda et Franceville, car nous y possédons la ressource nécessaire : le manganèse extrait par Comilog, celui de Franceville. Nous y avons également l’Ecole des Mines qui va démarrer en 2015 et l’USTM à côté pour ce qui est du capital humain. Nous avons en plus une très bonne source d’énergie avec le Grand Poubara. Nous pensons donc que ces différentes ressources donnent véritablement des opportunités considérables pour renforcer le pôle minier du Haut-Ogooué. Dans ce schéma, nous pensons que si Abhijeet partait de Nkok pour le Haut-Ogooué, cela aurait eu un effet de levier considérable sur l’économie. Ceci, à la fois au niveau de la création d’emplois qu’au niveau des revenus. Mais ce n’est pas le schéma qui a été arrêté par le gouvernement. Aussi, même si Abhijeet restait dans la zone de Nkok, d’autres unités industrielles s’installeraient dans le Haut-Ogooué.

Le véritable problème est que, jusqu’à présent, dans le cadre du modèle de la Comilog, cette compagnie exportait toujours la totalité de son manganèse, et sur cet aspect le gouvernement a été clair, suite à la déclaration du chef de l’Etat à Tokyo stipulant dès 2020 un arrêt de l’exportation brut de nos ressources naturelles. Cela signifie que la Comilog a déjà accepté le principe de vendre une partie de sa production de manganèse aux unités de transformation locales, ce qui devrait notamment faciliter le modèle d’installation de ces différentes unités de transformation de manganèse. A partir du moment où on a des ressources, ce sera facile pour les unités de transformation. Maintenant, vu que la Comilog accepte désormais de vendre une partie de son manganèse sur le plan local, et vu qu’à Franceville l’unité de ferromanganèse aura comme objectif de fournir d’abord le marché local, tout cela permettra donc de renforcer la stratégie arrêtée par le chef de l’Etat.

Où en êtes-vous avec le gisement mythique de Belinga ?

En ce qui concerne le gisement de Belinga, lorsque le chef de l’Etat est arrivé au pouvoir, il avait décidé de réorienter différemment le projet. Ce n’était pas une remise en cause brutale de l’accord signé avec les Chinois ; mais un constat fait, montrait qu’après la signature dudit contrat, rien n’avait été fait. Aucune étude complémentaire pour valoriser le gisement. Or, dans le modèle qui avait été arrêté, l’Etat gabonais n’était pas dans une situation de partenariat gagnant-gagnant. C’est donc pour cette raison qu’on a préféré recadrer les choses. Mais pour ce faire, il serait souhaitable d’avoir une connaissance complète de ce gisement, ce qui a notamment poussé le Président de la République à demander une évaluation complète du site pour, à terme, lancer un appel d’offres international. Nous avons donc sélectionné le Cabinet britannique SRK, leader mondial d’ingénierie, avec qui nous avons signé un contrat. En dépit des conditions climatiques particulièrement difficiles pour ce genre de travaux, le cabinet SRK démarrera bientôt son étude, et les travaux devraient durer 18 mois. Ce qui ne signifie pas que l’Etat est dans l’incapacité de prendre d’autres décisions avant ces 18 mois.

En même temps, nous avons lancé avec l’ANGT (Agence nationale des grands travaux, ndlr) une étude sur l’option d’infrastructure. Parce que le fer, il faut le produire, mais il est aussi important de savoir comment l’évacuer. Le Gabon est dans une sous-région où il y a du fer à côté… au Congo, au Cameroun, et tous ces gisements sont situés aux alentours de l’Ogooué-Ivindo. Nous pensons, dans le cadre de l’option d’infrastructure, qu’il serait souhaitable de voir comment intégrer ces autres gisements puisque certains opérateurs intéressés par ces gisements discutent avec notre pays en vue de voir comment évacuer une partie de leur minerais vers le Gabon. C’est donc pour cette raison que nous sommes en train d’accélérer les travaux, notamment au niveau de l’ANGT, pour voir quel schéma retenir dans le cadre du chemin de fer, puisque, partant de Belinga pour Booué, on voudrait savoir s’il faut évacuer le minerais vers Libreville ou plutôt vers Port-Gentil. Je ne vous dirais pas quelle option a été retenue, mais c’est le chef de l’Etat qui va valider. On a déjà un schéma quasiment cerné à ce niveau : pour le chemin de fer, le port et l’énergie électrique.

Les travaux d’évaluation se font. Lorsque nous aurons des données permettant d’avoir une connaissance plus complète de ce potentiel, remarquable il faut le dire, puisque c’est un méga gisement de fer avec d’autres ressources sur place, nous arrêterons la stratégie : faudrait-il le céder à un opérateur ou plutôt à plusieurs opérateurs ? Nous ne le savons pas encore. Mais nous avons signifié à tous les opérateurs qui nous ont contacté que le Gabon veut être maître de son destin en ce qui concerne le gisement de Belinga. Et d’ici peu, il y aura un tour de table pour que le Gabon puisse choisir avec qui ce gisement sera exploité, tout en intégrant la nouvelle vision économique du pays. C’est-à-dire qu’une partie de ce minerai sera transformé sur le plan local avant d’être exporté afin de renforcer la valeur ajoutée au niveau de l’économie.

Et concernant la partie exportable, on note quand même qu’un pays voisin comme le Cameroun, qui a un projet similaire avec le gisement de fer Mbalam, a entrepris la construction d’un port à Kribi, une ville plus proche de l’Ogooué-Ivindo que ne l’est le Cap Santa Clara ou le port d’Owendo. Au moment où l’on parle d’intégration sous-régionale, ne serait-il pas mieux d’entrer dans un consortium pour une conjonction de moyens ?

C’est bien d’une conjonction de moyens qu’il s’agit à ce niveau. Il faut voir les options. Il faut surtout choisir le schéma le plus compétitif. Je peux vous dire que l’option que nous sommes en train d’arrêter aujourd’hui, est une option viable pour l’exportation des minerais au Gabon. Ce, pour tous les opérateurs de fer, parce qu’il y en a plein dans la zone de l’Ogooué-Ivindo. En dehors de Belinga, il y a d’autres gisements aux alentours, il y a d’autres opérateurs, australiens d’ailleurs, actuellement en phase de recherche, tels que Waratah ou Ivanhoe. Aujourd’hui, il n’y a pas de miracle, il faut regarder la viabilité économique du projet. Voilà pourquoi dans l’option que l’Etat gabonais est en train d’arrêter pour l’évacuation du gisement de Belinga, nous prenons tout cela en considération.

Mais l’Afrique centrale a l’opportunité de renforcer son intégration économique à partir de l’exploitation du fer. Vous avez donc raison, mais il faut pour cela s’asseoir autour d’une table pour voir quel est le meilleur schéma. Dans ce domaine, le chef de l’Etat est ouvert. Une exploitation conjointe, essayant de grouper les moyens, permettrait, effectivement d’avoir un effet levier intéressant sur la rentabilité de ces différents gisements, d’autant plus que le coût d’infrastructure est considérable.

Cette intégration par le fer est à encourager. Nous ne sommes pas fermés à ce niveau. Le mois prochain, à Brazzaville, se tiendra d’ailleurs une conférence minière au cours de laquelle le volet concernant l’exploitation du fer sera abordé, tout comme le volet infrastructure, et le Gabon s’y rendra avec un schéma représentatif de la vision du chef de l’Etat dans ce domaine. Les autres pays peuvent donc s’intégrer dans cette vision, notamment dans le cadre d’une exploitation partagée des infrastructures, en qui ce concerne le chemin de fer, le port et tout le reste.

Vous avez organisé un forum pour l’industrialisation du Gabon à la suite duquel une structure a été mise en place pour le suivi des actes. Que pouvez-vous en dire aujourd’hui ?

Ça se passe bien. Nous avons eu une réunion à la suite du forum, mais nous préférons ne pas faire du bruit concernant nos travaux. Durant cette réunion, nous avons parlé du plan Marshall de l’emploi que nous croyons urgent. Ce programme, soutenu par le gouvernement et le secteur privé, vise notamment un effet intensif au niveau de la formation professionnelle. Au constat, beaucoup de jeunes sont sans emploi, ils n’arrivent pas à être utilisés par défaut de formation. Le secteur privé devrait nous donner des moyens nous permettant de former les jeunes, pour répondre à la forte demande d’emplois industriels dans les entreprises. Et de l’autre côté, on n’a pas une demande d’emplois correspondant aux profils recherchés par ces entreprises. Il faudrait donc qu’il y ait une adéquation entre la formation et la demande suscitée par les différentes unités industrielles.

Comme les entreprises ont besoin de qualifications précises, l’Etat devrait mettre en place un programme qui autoriserait d’importer la main-d’œuvre étrangère pour des périodes bien ciblées, pendant que la formation des Gabonais pour certains métiers spécifiques s’effectue. C’est une opération de rattrapage concernant l’emploi des jeunes. Nous avons notamment fait des travaux à ce sujet, en demandant aux entreprises des informations précises qui sont en train d’être fournies. Nous allons avoir une rencontre à la fin du mois de septembre. Ces éléments devraient d’ailleurs permettre de renforcer les travaux devant être entrepris dans le cadre du forum national de l’emploi. C’est concret et cela permettra d’utiliser une bonne partie des jeunes par la suite. Parce que les emplois industriels sont là, mais le véritable problème est que la formation dispensée à notre jeunesse n’est pas adaptée à ces besoins industriels.

Par ailleurs, dans le domaine forestier, nous avons déjà organisé une rencontre avec les exploitants forestiers et le ministre des Eaux et Forets. Ce, en vue d’accélérer la chaîne des valeurs dans ce domaine. Pour cela, la politique d’attribution des permis devra être en harmonie avec la vision industrielle. Ce comité de pilotage paritaire, présidé par le Premier ministre, réuni les acteurs du secteur privé et les membres du gouvernement. Il aura une séance de travail avant la fin de l’année. Pour l’instant, il s’agissait de réunions à mon niveau. Aussi, au regard du retour de la revalorisation de l’industrialisation partout ailleurs, le Gabon comme tous les autres pays africains, se doit d’avancer dans ce domaine.

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