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Trois gouvernements, trois Premiers ministres : De la cacophonie politique au Gabon des Bongo Ondimba

Dr. Daniel Mengara, Président du mouvement "Bongo Doit Partir - Modwoam"
Dr. Daniel Mengara, Président du mouvement « Bongo Doit Partir – Modwoam »

Le remaniement ministériel récemment opéré par Ali Bongo Ondimba, président autoproclamé du Gabon, est, en fin de compte, symptomatique de l’utopie que constitue la politique dite d’« émergence » que le dictateur gabonais essaie d’enfoncer dans la gorge des Gabonais à coup de propagandes stériles depuis sa prise de pouvoir illégitime en 2009. Autrement dit, ce remaniement est un signe fort que la politique d’« émergence » d’Ali Bongo a accouché d’une souris, et que cette souris est mort-née depuis le début.

Trois premiers ministres en 4 ans est certainement un record. Le dicton politique selon lequel « on ne change pas une équipe qui gagne » prend ainsi toute sa valeur car il devient clair que si les équipes ministérielles d’Ali Bongo avaient « gagné » depuis 2009, cette valse politique de Premiers ministres et de gouvernements éphémères n’aurait jamais eu lieu. L’évidence est donc là : de Paul Biyogue Mba en passant par Raymond Ndong Sima et aujourd’hui Daniel Ona Ondo, la sauce politique concoctée par Ali Bongo depuis 2009 n’a pas marché. Le Gabon fait dans le sur-place depuis 4 ans et, en réalité, a même connu des reculs monumentaux tant dans le domaine des libertés publiques que de la bonne marche de l’administration, pour ne pas parler de la situation économique paradoxale où les budgets du pays ne cessent d’augmenter (on pompe plus de pétrole pour booster une croissance artificielle), alors même que, dans le même temps, la pauvreté, le chômage, la vie chère et la précarité ne cessent d’augmenter.

Soyons clairs : Pour tout régime nouveau qui veut imprimer une marque progressiste durable sur le pays, les quatre premières années sont les plus importantes, les plus cruciales. Voilà pourquoi, aux USA, on ne donne généralement à un président que quatre ans pour réellement appliquer son programme. Le deuxième mandat d’un président américain, qui est d’ailleurs rare, est ainsi souvent rejeté avec mépris comme un mandat « lame duck » (mandat « canard boiteux ») car c’est un mandat où on n’attend plus généralement grand chose du président. On suppose ainsi, aux Etats-Unis, qu’il a épuisé tout ce qu’il avait à offrir au pays pendant son premier mandat et on attend avec une certaine impatience que le prochain président vienne mettre un coup de neuf, donc apporte une inspiration nouvelle. Or, dans le cas d’Ali Bongo, les quatre premières années cruciales de son mandat de sept ans ont été dilapidées. En ce sens, les trois ans qui lui restent ne peuvent plus être que des années de propagande électoraliste visant à s’assurer un nouveau tour de force, donc une nouvelle victoire frauduleuse.

Et c’est cela tout le sens du gouvernement Ona Ondo. Puisque Daniel Ona Ondo ne peut réussir en trois ans ce que les deux premiers ministres sortants n’ont pu réussir en quatre ans, la seule conclusion logique est que le gouvernement Ona Ondo sera tellement distrait par les considérations électoralistes d’Ali Bongo pour 2016 qu’il n’aura jamais le temps de se concentrer sur les problèmes des Gabonais. La situation du Gabon, on peut facilement le prévoir, va donc considérablement empirer sous le gouvernement Daniel Ona Ondo car, tout le monde le sait, de colossales sommes ont toujours été détournées du budget national pour financer les réélections de nos dictateurs. La période 2014-2016 n’échappera donc pas à cette règle quasi mathématique du régime des Bongo. Les trous budgétaires seront énormes et l’endettement pour combler ces trous faramineux.

Ce qui est fascinant avec les Bongo, c’est souvent leur refus quasi névrotique de regarder la réalité en face. Plutôt que de s’atteler aux vraies causes de leurs propres immobilismes, nos dictateurs, de Bongo le père à Bongo le fils, ont souvent préféré se lancer dans des faux-fuyants dont la vacuité n’échappe plus à personne.

C’est quoi, ces faux-fuyants ?

1) Le premier faux-fuyant d’Ali Bongo est d’avoir cru que quelqu’un comme lui, qui a vécu toute sa vie sous les jupettes de papa, pouvait concevoir le Gabon autrement qu’à travers la matrice psycho-familiale léguée par son père. Omar Bongo avait, entre 1967 et 2009 (42 ans), insufflé une conception du pouvoir, voire une culture familiale du pouvoir, qui devait forcément laisser une marque assez profonde sur son fils. Cela aurait demandé une volonté de fer pour Ali Bongo, qui a vécu 55 ans (toute sa vie) dans ce moule et qui a été formaté par ce moule, de se défaire de l’héritage psycho-familial de son père.

Au final, un Ali Bongo au pouvoir en 2009 ne pouvait être ce qu’on pouvait appeler un homme nouveau : il est quasiment né dans le système (il avait 8 ans quand son père est devenu président), il a fait partie du système toute sa vie, il y a occupé des fonctions pendant la majeure partie de sa vie adulte et, donc, a fait partie du problème toute sa vie. Et si, du vivant de son père, Ali Bongo n’avait jamais pu, malgré le piètre mythe de « Rénovateur » qu’on lui accola jadis, suffisamment influencer son père pour impulser un renouveau digne de ce nom, ce n’est certainement pas dans le contexte de sa prise de pouvoir frauduleuse que ce renouveau allait se produire. Quand un pouvoir n’est pas légitime, sa seule voie de survie est le renforcement de la dictature et le renforcement de la dictature devient, automatiquement, un frein à toute velléité de renouveau, de progrès.

C’est dire que la politique d’« émergence » d’Ali Bongo était, dans ce contexte, condamnée d’avance à l’échec le jour où, en prenant le pouvoir de manière frauduleuse, il a choisi de renforcer ses pouvoirs de dictature. La suite, on la connaît : il a confirmé l’équation selon laquelle il ne peut y avoir de développement durable réel sans démocratie. La démocratisation à outrance du Gabon tout autant que le rejet sans ambages de l’héritage de son père étaient, en fait, les meilleurs alliés d’Ali Bongo et les seules choses qui auraient pu légitimer son pouvoir tout en fermant la bouche à ses détracteurs de l’opposition. Il a raté ce coche. Désormais coincé dans le traquenard que ses propres instincts bongoïstes ont créé, il ne peut plus revenir en arrière. Sa dictature ne peut donc que continuer à se renforcer. C’est la seule option qui lui reste.

2) Le second faux-fuyant est que quand, depuis le règne du père jusqu’au règne du fils, on change autant de gouvernements et que les choses ne s’améliorent pas dans le pays malgré, pourtant, les budgets colossaux et les compétences et intelligences diverses qui sont passées par ces gouvernements au cours de 46 ans, c’est certainement dans la culture politique qu’il faut aller rechercher le problème. Or une telle culture politique immobilisante, dans un système comme le nôtre où l’Exécutif jouit de pouvoirs quasi-illimités, ne peut venir, justement, que de l’Exécutif. Dans les systèmes politiques à souverains forts, les sbires et inféodés ne servent généralement leur souverain que dans le sens qui est apprécié du souverain. Ainsi, si le souverain est voleur, tout le monde autour de lui deviendra voleur et s’accommodera de l’idée de voler car c’est la seule manière non seulement de servir le souverain, mais aussi d’entrer dans ses bonnes grâces et, donc, de conserver son poste. Dans un tel système, les réformateurs ne survivent généralement pas très longtemps. S’établit ainsi dans l’entourage du souverain une culture politique et, donc, des manières de faire et de penser qui reflètent assez clairement sa psychologie et ce qu’il attend de son entourage. Quand, à la fin, les choses ne marchent pas bien, c’est, au final, le souverain lui-même qui en est la cause.

Du coup, l’analyse devient simple : à bien y regarder, la seule chose qui n’a jamais changé dans le système politique gabonais depuis 1967, ce sont les Bongo. Cette famille a tellement su cultiver une culture du pouvoir familial et clanique que cette culture est devenue son propre ennemi car sabotant systématiquement toute tentative de réforme progressiste interne ou externe au système. Dans un tel contexte, on aura beau aligner des gouvernements nouveaux comme on veut, on aura beau avoir des technocrates dans de tels gouvernements, rien n’y fera. La culture politique insufflée par le souverain, dans ce cas les Bongo, sera toujours trop forte et finira toujours par saper toute velléité de redressement. C’est ce que nous avions appelé le virus du « bongoïsme » au moment de la création du mouvement « Bongo Doit Partir » en décembre 1998.

3) Le troisième faux-fuyant, qui découle des deux premiers, est le fait qu’Ali Bongo ne soit pas capable de comprendre que la première cause de l’immobilisme qui, depuis 2009, sape son projet d’« émergence », c’est, en fait, lui-même, c’est-à-dire, le fait qu’il ait, lui-même, créé une telle cacophonie administrative à la tête de l’Exécutif que rien de bon ne pouvait en sortir. L’Exécutif gabonais, tel qu’il se présente aujourd’hui, est essentiellement structuré comme un Exécutif où il y a trois premiers ministres pour trois gouvernements parallèles dont les structures non seulement se font politiquement concurrence, mais aussi ne cessent de clasher en matière de prérogatives constitutionnelles. Ces clashes et rivalités ne pouvaient que nuire à la cohésion de la politique générale, pour ne pas parler des budgets colossaux que le Gabon se devait, dès lors, de dilapider pour soutenir l’action de chacun de ces « trois gouvernements » concurrents.

Qui sont ces trois « premiers ministres » dont nous parlons ?

Il y a d’abord, par ordre d’importance :

1) Maixent Accrombessi. De nationalité béninoise, Maixent Accrombessi est généralement décrit comme le tout-puissant Directeur de cabinet d’Ali Bongo Ondimba. Mais bien plus que cela, il est le centralisateur d’une structure gouvernementale parallèle dont les « agences » constituent la pierre angulaire. C’est qu’Ali Bongo a cru, à un moment, que la création d’agences aux prérogatives quasi gouvernementales qui seraient directement rattachées à la présidence de la République lui permettrait de mieux diligenter ses politiques « émergentes ». Mal lui en a pris : cette décision a plutôt engendré une terrible cacophonie au sommet de l’Etat, où une structure informelle et sans prérogatives constitutionnelles comme celle-là a fini par gêner l’action du gouvernement officiel de la République. Aujourd’hui au Gabon, tout le monde s’accorde à dire que Maixent Accrombessi est le vrai Premier ministre du pays et les agences ses ministères.

2) Sylvia Bongo Ondimba. Française d’origine et épouse du dictateur gabonais, elle est, elle aussi, au centre de l’activité politique nationale. Non seulement elle dilapide l’argent du Gabon dans de fausses fondations dont l’utilité publique reste à démontrer, et dont le rôle semble plus de détourner l’argent du Gabon vers les usages familiaux du clan, elle est également devenue, au cours des deux dernières années, un gouvernement parallèle à elle toute seule. C’est à elle, par exemple, qu’Ali Bongo a laissé le dossier « pauvreté et précarité », un rôle réaffirmé dans son discours du Nouvel An 2014 où il disait confier à son épouse la responsabilité de trouver une solution durable aux problèmes chroniques de pauvreté et de précarité au Gabon. Ce rôle a été confirmé par la remise personnelle par Sylvia Bongo à son époux d’un « rapport final d’études et de préconisations de la stratégie d’investissement humain du Gabon » allant dans ce sens le 5 février 2014.

Or, en contournant ainsi le gouvernement officiel de la République, dont les tentatives d’action se heurteraient forcément à celles de Sylvia Bongo ne fût-ce qu’en matière de politique générale et d’allocations budgétaires, on aboutit à un désordre gouvernemental qui ne peut que conduire, là encore, à une véritable cacophonie tant sur le plan des prérogatives constitutionnelles que des budgets à allouer aux projets concurrents de tout ce beau monde. Il demeure donc que, à côté d’Accrombessi, elle est le deuxième Premier ministre du Gabon et son rôle de Première Dame a désormais cédé le pas à un rôle plus assertif qui ne manquera pas de s’affermir au fur et à mesure que son époux l’impliquera à sa débâcle. Quand, malgré tout ce qui existe au sein de la République comme compétences et intelligences, c’est à Sylvia Bongo, sa propre épouse, donc un membre de sa famille, qu’Ali Bongo confie la responsabilité non seulement de faire une étude sur la situation de précarité des Gabonais, mais aussi de coiffer, telle un Premier ministre, le dossier-clé du Gabon qu’est la pauvreté et à la précarité, on voit tout de suite une orientation extrêmement familiale et clanique de la politique nationale qui n’augure de rien de bon.

3) Daniel Ona Ondo et tous ses prédécesseurs. Daniel Ona Ondo, tout comme ses prédécesseurs, ne peut ainsi que devenir le vrai dindon de la farce bongoïste. Etant pourtant les seuls, en tant que Premiers ministres, à jouir de la légitimité et de prérogatives clairement définies dans la Constitution gabonaise pour conduire l’action du gouvernement, et ce en tant qu’entités partageant la gestion de l’Exécutif avec le Président de la République, leur relégation à l’arrière-plan de l’action gouvernementale fait d’eux un véritable gouvernement « coquille vide » ne pouvant valablement s’affirmer dans un contexte où Maixent Accombessi et Sylvia Bongo détiennent les vraies rennes de la gestion de la chose publique, quoique, là encore, de manière cacophonique puisque travaillant hors de toute procédure de rationalisation et de convergence des initiatives.

Au final, remplacer Ndong Sima par Ona Ondo ou n’importe quel autre Premier ministre ne rime strictement à rien, tout comme ne rime à rien la nomination de nouveaux gouvernements. C’est, en réalité, cette cacophonie au sommet de l’Exécutif qui, en combinaison avec les autres tares bongoïstes susmentionnées, a fait l’échec d’Ali Bongo. C’est une cacophonie qui résulte, comme nous l’avons dit, de l’héritage psycho-familial qui a formaté, puis préparé Ali Bongo aux mêmes déviances que son père, déviances qui, par la suite, ont été augmentées par l’illusion qu’il a eue de pouvoir faire « émerger » le Gabon dans un contexte de dictature raffermie, le tout finissant par être totalement compromis quand il a eu l’idée saugrenue de confier le rôle de faire « émerger » le Gabon à trois « gouvernements concurrents ». A la fin, c’est bel et bien d’un chaos organisé qu’il s’agit ici et le Premier responsable de ce chaos est, bel et bien, Ali Bongo lui-même. Quand on prépare de la sauce, on n’accuse pas le sel de gâcher la sauce si on n’a pas pris le soin de bien doser son sel ! Ali Bongo est donc tout simplement un mauvais cuisinier.

Et c’est dans ce contexte de cacophonie et de mauvaise cuisine que le gouvernement de Daniel Ona Ondo prend tout son sens. Il doit être compris comme un simple gouvernement électoraliste mis en place dans le seul but d’aider Ali Bongo à préparer son prochain tour de force de 2016. Après quatre années d’errements, donc de temps perdu à confondre propagande politique avec politique de développement, Ali Bongo n’a plus aucun espoir de voir son utopie politique se réaliser. Sa seule politique, dans cette pente déjà descendante de son règne, ne va plus consister qu’à investir militairement dans son maintien au pouvoir coûte que coûte. Ayant déjà lui-même reconnu la mort de l’« émergence » le jour où il a repoussé ses premiers résultats pour 2025 au lieu de 2014, Ali Bongo sait désormais qu’il a raté l’unique chance qu’il avait de pouvoir réformer le Gabon sur la base d’une vision nouvelle qui soit conforme aux aspirations de liberté et de bien-être des Gabonais. Ses actes, dans ce contexte, trahissent déjà, avec la centralisation de son pouvoir autour des agences, la nomination aux postes clés du gouvernement de membres de son clan et le rôle de plus en plus public des membres de sa famille (Malika Bongo, Sylvia Bongo, etc.), une trajectoire familiale qui a souvent été celle des dictatures qui, convaincues que personne ne les porte vraiment dans son cœur, se sont résolues à simplement assumer leur dictature, puis à « gaspiller », advienne que pourra. Un peu comme Omar Bongo proclama jadis que si on le forçait à partir du pouvoir, il ferait en sorte qu’on ne puisse plus reconnaître le Gabon sur la carte de l’Afrique. En 2014, nous sommes donc passés, au Gabon, de l’utopie de l’« émergence » à l’utopie du pouvoir familial à vie.

Aux Gabonais, maintenant, de décider s’ils veulent s’accommoder d’une hégémonie absolue du clan des Bongo Ondimba sur le Gabon pendant 70 ans ou si le moment est, finalement, venu de dire aux Bongo que le Gabon ne leur appartient pas et qu’il faut désormais vider les lieux, de gré ou de force.

Dr. Daniel Mengara
Président, « Bongo Doit Partir- Modwoam »

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