spot_imgspot_img

Le professeur Raoult a-t-il pris des libertés avec les règles éthiques ?

Fin mars, le chercheur et ses collaborateurs rendaient publique une étude sur 80 patients atteints de Covid-19. Présentée comme une simple analyse de données de soin, elle semble pourtant relever d’une «recherche impliquant la personne humaine», pour laquelle l’aval d’un comité indépendant est obligatoire.

Didier Raoult et son équipe ont-ils contourné une importante instance de contrôle pour mener l’une de leurs études sur des patients atteints de Covid-19 ? C’est ce qui semble ressortir de documents auxquels Libération a eu accès.

En France, pour pouvoir conduire des «recherches impliquant la personne humaine» (RIPH), tout scientifique doit impérativement obtenir l’avis favorable de l’un des 40 comités de protection des personnes (CPP) répartis sur le territoire. Ces comités d’éthique, indépendants des établissements de recherche, sont composés de praticiens, de juristes ou de représentants d’associations de patients. Conduire une RIPH sans l’aval d’un CPP est passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

Sont ainsi considérées comme des RIPH toutes les études dans lesquelles les interventions (par exemple les gestes médicaux) ou les observations (suivi, questionnaires aux patients…) ne sont pas uniquement réalisées pour le soin du malade, mais aussi dans l’intention de mener une recherche destinée à faire évoluer les connaissances biologiques ou médicales.

«Ce n’est pas de la recherche, c’est du soin»

Le 27 mars, l’équipe du professeur Raoult présente les résultats d’une étude relative aux effets combinés de l’hydroxychloroquine (HCQ) et de l’azithromycine (AZ) chez 80 patients Covid +. Les chercheurs marseillais de l’IHU Infection Méditerranée expliquent alors avoir fait valider ce projet par leur propre comité d’éthique, et non par un CPP, avec cet argument : «Ce n’est pas de la recherche, c’est du soin.»

Problème : le 17 avril, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) met en doute le fait que cette étude ne relève pas d’une RIPH. Réponse, une semaine plus tard, de l’IHU de Marseille : «L’hypothèse que [cette] étude serait une intervention sur la personne non justifiée par sa prise en charge habituelle est fausse, car il n’y a eu aucune autre intervention que celles justifiées par les soins courants.»

Cette défense pose plusieurs problèmes. L’argument des «soins courants», en premier lieu, reste vivement discuté. L’étude impliquait en effet, chez tous les patients, la réalisation d’un scanner, de même que des prélèvements nasopharyngés quotidiens pendant sept jours. Soit des modalités de suivi comparables à celles employées, à des fins de recherche, lors des précédents travaux de l’équipe.

Par ailleurs, pour justifier sa position, l’IHU s’est référé, dans son communiqué du 24 avril, à des travaux précisant quelles recherches relèvent des RIPH. Réponse alors sans équivoque de l’une des co-auteures desdits travaux : «Notre article […] n’a pas vocation à camoufler des pratiques d’expérimentations humaines sous le masque d’une étude rétrospective sur données. Si un traitement a été donné à des êtres humains hors [autorisation de mise sur le marché] et à des fins de recherche, il s’agit d’une RIPH.» D’autres chercheurs, membres de comités d’éthique, sont également montés au créneau et ont jugé «difficile, au regard de la définition légale, de considérer l’étude [de l’IHU sur les 80 patients] autrement que comme une RIPH».

Deux éléments suggèrent également que les auteurs de l’étude ont eux-mêmes considéré, au moins un temps, que leurs travaux relevaient d’une RIPH portant sur des médicaments, et nécessitaient donc d’obtenir l’aval d’un comité de protection des personnes. Le premier figure dans le corps de leur étude, puisqu’ils revendiquent avoir agi conformément «aux bonnes pratiques cliniques recommandées par la déclaration d’Helsinki». Or cette déclaration définit… les «principes éthiques applicables à la recherche médicale impliquant des êtres humains».

Le second élément renvoie à un projet – Azithroquine-cov19 – soumis par l’IHU à l’examen d’un CPP, en deux temps, les 19 et 20 mars. Selon des documents que nous avons pu consulter, le protocole soumis le 20 mars visait à étudier les effets combinés de l’hydroxychloroquine et de l’azithromycine sur des patients Covid +, sans groupe contrôle. A cette date, l’IHU de Marseille considérait donc qu’un tel protocole relevait d’une RIPH, puisqu’il requérait l’avis d’un CPP.

A noter que ce protocole a été examiné le 21 mars par le CPP. Or, ses membres ont émis de vives réserves sur l’étude, notamment sur son intérêt en l’absence de groupe contrôle. Suite à des demandes de précisions adressées à l’IHU de Marseille, ce dernier a répondu qu’il retirait finalement son projet, pour se consacrer à «une activité de soins pour laquelle [seraient analysées] de façon rétrospective les données [des dossiers médicaux]».

Avis défavorable

Le CPP initialement sollicité a toutefois achevé l’examen de la dernière version du protocole Azithroquine-cov19. Et le 1er avril, il émet un avis défavorable – justifié par le fait qu’une telle étude «ne permettra pas de répondre à la question de l’efficacité éventuelle de l’association avec l’azithromycine, d’autant que l’efficacité de l’hydroxychloroquine seule n’est pas démontrée dans l’étude justifiant cette recherche, du fait des nombreux biais qu’elle comporte».

Autrement dit : de l’avis même d’un CPP sollicité par l’IHU de Marseille, une étude évaluant un protocole HCQ + AZ sans groupe contrôle, établi à des fins de recherche, ne saurait être autorisée. Et si les autorités sanitaires venaient à considérer que les travaux présentés le 27 mars relèvent d’une «recherche impliquant la personne humaine», l’IHU ne pourrait pas revendiquer le fait qu’un avis favorable leur aurait été probablement délivré.

Une chronologie qui pose question

Contacté afin de mieux comprendre la différence entre le projet Azithroquine-cov19 et l’étude présentée le 27 mars, Philippe Gautret, l’un de ses auteurs, répond : «C’est simple, nous avions soumis un projet de recherche sur l’HCQ seule versus HCQ + AZ. Très vite, au vu des bons résultats de l’association, nous avons décidé de retirer ce projet, en prévenant [la direction générale de la santé] pour des raisons éthiques et de traiter tous nos patients sans contre-indication avec cette association (soin courant). Les résultats présentés dans l’étude des 80 patients sont des résultats rétrospectifs de patients traités par cette association, il ne s’agit pas d’un programme de recherche.»

Cette chronologie pose néanmoins de nouvelles questions. Philippe Gautret nous explique que la décision de retirer le projet Azithroquine-cov19 repose sur les «bons résultats de l’association» HCQ + AZY. Mais selon la lettre adressée au CPP pour justifier le retrait du projet, ces bons résultats… sont ceux rendus publics le 17 mars par l’IHU. Or ces travaux publiés le 17 mars ne peuvent être l’élément ayant amené les chercheurs à considérer que «traiter tous [les] patients sans contre-indication avec [l’association HCQ + AZ]» n’était «que du soin», puisqu’ils considéraient encore, trois jours plus tard, que ceci relevait du cadre légal des RIPH.

Interrogé sur cette chronologie, Philippe Gautret n’a pas donné suite à l’échange. Sollicité, son confrère Philippe Brouqui nous a adressé une fin de non-recevoir.

Florian Gouthière

Exprimez-vous!

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

spot_imgspot_img

Articles apparentés

spot_imgspot_img

Suivez-nous!

1,877FansJ'aime
133SuiveursSuivre
558AbonnésS'abonner

RÉCENTS ARTICLES