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Essai Recovery : les chercheurs ont-ils administré plus de trois fois la dose d’hydroxychloroquine autorisée ?

Si les doses employées dans l’essai britannique dépassent celles actuellement prévues en contexte de soin en France, elles peuvent être autorisées dans un contexte de recherche.

Question posée par Michel le 07/06/2020

Bonjour,
Nous avons reçu plusieurs questions portant sur un aspect précis des résultats de l’essai britannique Recovery, qui a récemment livré des résultats décevants sur l’hydroxychloroquine (HCQ) contre le Covid-19. Michel nous écrit ainsi : «[…] j’ai été très surpris de lire que la dose dans recovery est de 2 400 mg par jour, soit plus de trois fois la dose maximale autorisée par l’AMM [Autorisation de mise sur le marché, ndlr]. J’avais compris qu’à cette dose, c’était le suicide assuré. Pouvez-vous me dire si cette info est vraie ? […] Dans d’autres protocoles, on ne dépasse jamais 600 mg par jour.»

Sur les réseaux sociaux, plusieurs internautes accusent même les chercheurs de Recovery d’avoir utilisé des doses anormales d’hydroxychloroquine, avec l’intention de produire des résultats discréditant la molécule. Qu’en est-il réellement ?

Rappelons tout d’abord la nature et l’objectif de Recovery. Initié fin mars au Royaume-Uni, cet essai évalue l’efficacité de différentes thérapies chez 11 000 patients atteints du Covid-19, enrôlés dans 175 hôpitaux du pays. Chaque participant se voit assigner aléatoirement un traitement parmi plusieurs «candidats traitements», au nombre desquels on trouve notamment le tocilizumab, le plasma de patients convalescents, ou encore la fameuse hydroxychloroquine (HCQ).

Les résultats de Recovery sont analysés en continu, toutes les deux semaines, par un comité indépendant. Le 5 juin, les responsables du projet ont présenté les données d’évaluation de l’HCQ, et ont expliqué qu’«il n’y avait pas de différence significative dans le critère d’évaluation principal de la mortalité à 28 jours» pour la population étudiée. Il n’y avait également «aucune preuve d’effets bénéfiques sur la durée du séjour à l’hôpital ou sur d’autres variables».

Une «dose de charge» de 2 400 mg

Concernant le sujet du dosage, lorsqu’un participant à l’étude Recovery se voit attribuer le traitement «hydroxychloroquine», il reçoit immédiatement 800 milligrammes de sulfate d’hydroxychloroquine (l’équivalent de 4 comprimés de Plaquenil), dosage qui sera répété six heures plus tard, et auxquelles succédera six et douze heures plus tard une dose de 400 mg. Soit une «dose de charge» de 2 400 mg atteinte après la quatrième prise de médicament (à la 24e heure, soit au tout début du 2e jour de traitement). Durant les neuf jours suivants, le sulfate d’hydroxychloroquine est administré à hauteur de 400 mg toutes les douze heures (soit 800 mg de Plaquenil quotidiens).

En France, la dose maximale fixée pour la thérapeutique peut être dépassée dans les essais cliniques

Ces doses sont-elles trop importantes, comme le dénoncent plusieurs internautes ?

Au Royaume-Uni, ni la chloroquine ni l’hydroxychloroquine ne bénéficient d’une autorisation de mise sur le marché pour le traitement du Covid-19, comme l’a confirmé à CheckNews la Medicines and Healthcare products Regulatory Agency (MHRA).

Pour le traitement des pathologies pour lequel le sulfate d’HCQ est autorisé, les recommandations portent sur une dose maximum évaluée à partir du poids du patient (dose inférieure à 500 mg pour un homme adulte de taille moyenne).

La MHRA explique en revanche à CheckNews que, concernant le Covid-19, la prescription de CQ et d’HCQ est autorisée dans le cadre d’essais cliniques. L’agence nous précise qu’elle n’a pas fixé de recommandations sur les dosages maximums mobilisés dans un cadre de recherche, l’évaluation des essais étant faite au cas par cas (en fonction de la durée du traitement, la population de patients, de la surveillance des risques, etc.)

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Côté français, le recours au Plaquenil pour le traitement du Covid-19 a été autorisé fin mars de manière dérogatoire (hors AMM). L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) rappelle que, pour les pathologies associées à l’AMM, la posologie maximale «est de 600 mg par jour pour un adulte».

Ce seuil ne s’applique toutefois pas non plus aux essais cliniques et, dès lors que les comités d’éthiques valident les protocoles, d’autres posologies peuvent être utilisées. Fin mars, l’agence soulignait ainsi qu’une «posologie comportant une dose de charge [de 800 mg au premier jour était] testée dans l’essai européen Discovery chez des patients hospitalisés avec une surveillance de l’ECG et des concentrations plasmatiques» (l’agence précisant que le recours à cette posologie ne devait être envisagé «que dans l’environnement sécurisé d’un essai clinique»).

Parmi les autres études sur l’HCQ déjà publiées qui mettent en jeu une «dose de charge» plus élevée, on peut notamment citer des travaux présentés début mai dans le British Medical Journal, où le protocole débute par l’administration de 1 200 mg quotidiens les trois premiers jours, suivi d’une dose quotidienne de 800 mg durant deux à trois semaines.

Evaluer l’effet de l’HCQ sur Sars-CoV-2 à des concentrations élevées

La «dose de charge» de 2 400 mg de sulfate d’hydroxychloroquine utilisée dans Recovery, sensiblement plus élevée que dans les recherches précédentes, est-elle dangereuse ?

Dans un document présentant le protocole de l’étude Recovery, ses responsables expliquent recourir sciemment à une «dose de charge» élevée afin «d’atteindre dès que possible des concentrations plasmatiques inhibitrices du virus». Selon les auteurs, «les concentrations d’HCQ dans le plasma sanguin» qui résultent de cette administration massive et précoce «se situent dans la fourchette supérieure de celles rencontrées, à l’état d’équilibre, au cours du traitement de la polyarthrite rhumatoïde».

Contacté par CheckNews, le professeur Peter Horby, coauteur des travaux, justifie la démarche : «Le mécanisme d’action proposé pour l’hydroxychloroquine contre le Covid-19 est antiviral et, par conséquent, pour être efficace, il faut atteindre des concentrations capables d’inhiber du virus. Cela nécessite des doses élevées. La dose que nous avons utilisée était basée sur une modélisation pharmacocinétique de la distribution et de la métabolisation de l’hydroxychloroquine, ainsi que sur des données [in vitro] sur la concentration inhibitrice de l’HCQ contre le virus Sars-CoV-2».

Cette idée selon laquelle des concentrations plasmatiques élevées d’HCQ sont un prérequis à tout effet sur ce coronavirus a déjà été défendue par d’autres pharmacologues, et n’avait pas été évaluée jusqu’à présent. Selon Mathieu Molimard, chef de service du département de pharmacologie médicale de Bordeaux, «la dose administrée dans Recovery est le maximum de ce qui pouvait être donné, dans des conditions de surveillance strictes, sans trop augmenter les risques. Ils se sont donné les chances de voir quelque chose. Mais à vrai dire, les dernières données disponibles (et notamment une étude réalisée par la Food and Drug Administration) montrent qu’il faudrait des doses encore plus élevées – et donc beaucoup plus dangereuses – pour avoir un effet».

Quid des doses administrées sur dix jours ?

Pour le professeur Horby, les risques associés à une dose de charge importante dans le contexte d’un essai clinique, de même que ceux liés à la prise de 9 600 mg de Plaquenil répartis sur dix jours, «sont très faibles». «Des experts en pharmacocinétique de la CQ et de l’HCQ ont travaillé sur les modélisations qui nous ont conduits à prendre ces décisions posologiques», précise-t-il.

Concernant la «dose de charge», il faut observer que celle-ci est administrée progressivement, au cours d’une journée, et non en une fois. L’objectif est ici de laisser à la molécule active le temps de se diffuser dans les cellules. On évite ainsi un pic de concentration, et diminue ainsi le risque toxique. Une administration plus rapide aurait, en revanche, des effets extrêmement délétères.

«Nous avons pris grand soin de sélectionner une dose d’HCQ qui équilibre efficacité potentielle et sécurité», insiste le chercheur. S’étonnant des critiques, il observe que «les doses maximales que les gens citent sont liées à une utilisation à long terme de l’hydroxychloroquine. Une utilisation à court terme (dix jours) n’aura pas de complications à long terme telles que des dommages rétiniens, et les doses que nous utilisons sont bien inférieures à celles qui sont associées à une toxicité aiguë ou à un empoisonnement».

Les chercheurs ont-ils confondu les dosages autorisés de deux molécules ?

La controverse sur les dosages élevés d’HCQ utilisés dans Recovery a également été alimentée par une lourde accusation à l’égard des chercheurs. Selon une thèse partagée depuis plusieurs jours sur les réseaux sociaux, les chercheurs auraient, par erreur, basé leurs calculs sur le dosage autorisé pour une autre molécule.

Cette allégation trouve son origine dans une interview accordée à la plateforme France Soir par Martin Landray, l’un des coordinateurs de l’essai. Interrogé sur la question du dosage, il aurait répondu : «Les doses ont été choisies sur la base de la modélisation pharmacocinétique et ceux-ci sont en ligne avec les dosages utilisés pour d’autres maladies telles que la dysenterie amibienne.» Dans un deuxième article publié par France Soir, cette déclaration est soumise à l’avis d’un médecin français (le Pr Perronne). Celui-ci déclare : «C’est bien la première fois que j’apprends qu’on utilise l’hydroxychloroquine dans la dysenterie amibienne, en plus à dose super-toxique pour l’homme. […] Je pense qu’il a confondu l’hydroxychloroquine avec l’hydroxyquinoléine. Cet homme, qui se dit médecin, est incompétent et dangereux.»

Peter Horby dément formellement cette interprétation et affirme que France Soir a mal rapporté les propos de son confrère (ce que le média français conteste) : «Il n’y a absolument aucune confusion chez nous entre l’hydroxychloroquine et l’hydroxyquinoléine, contrairement à ce que rapporte France Soir. La confusion vient de l’interview de France Soir qui rapporte le terme « dysenterie amibienne » à la place d’ »abcès hépatique amibien » (AHA), pathologie pour laquelle la chloroquine a été utilisée comme traitement dans le passé, à des doses comparables à celles que nous avons utilisées dans Recovery avec l’HCQ.»

Le chercheur nous renvoie à un document de 1995, dans lequel l’Organisation mondiale de la santé considère que la chloroquine peut être utilisée en sécurité contre l’AHA, avec un total de 7,2 grammes sur trois semaines (en complément d’autres traitements). Nous rappelant que l’HCQ est moins toxique que la CQ, Peter Horby note qu’un poids équivalent d’HCQ est utilisé, sur dix jours, dans Recovery. Mais il insiste : «Cette dose utilisée par l’OMS pour l’AHA n’a pas été mentionnée pour « justifier » les doses employées dans l’essai Recovery. Il s’agissait simplement de l’exemple d’une autre maladie dans laquelle des doses élevées ont été utilisées par le passé.»

À noter que la chloroquine a historiquement été utilisée pour les deux pathologies (dysenterie amibienne et AHA), à des dosages toutefois différents.

Florian Gouthière

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