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Questions sur les rapports de Bernard Kouchner pour Omar Bongo

Bernard Kouchner a-t-il compromis la figure du « French Doctor », en rédigeant des rapports généreusement financés par des potentats africains ? La question posée par le livre du journaliste Pierre Péan, Le Monde selon K (Fayard, 324 p., 19 euros), est éclairée par les deux études sur le système de santé du Gabon dont Le Monde a pris connaissance. Conduits par M. Kouchner, à une époque où il n’exerçait pas de responsabilités politiques, ces travaux ont été commandés en 2003 par le président Omar Bongo à la société Imeda. Les deux rapports de 107 et 24 pages ne relèvent ni d’une compilation de documents existants ni de l’analyse complaisante. Rédigés en quelques mois par quatre personnes, ils contiennent une description alarmante d’hôpitaux où « l’écoulement des eaux souillées traverse les cloisons ». Ils rapportent la « chute dramatique de la couverture vaccinale » et décrivent une population dépourvue à 71 % de protection sociale.

Les documents, remis contre une rémunération de 216 000 euros net sur trois ans à Bernard Kouchner, révèlent la fréquence des contacts entre l’actuel ministre des affaires étrangères et Omar Bongo, à la tête depuis 42 ans d’un Etat pétrolier connu pour l’opacité de ses finances et la pauvreté de sa population. Interrogé le 4 février sur France 2, M. Kouchner a indiqué qu’il tutoyait l’inamovible président gabonais.

Alors que M. Kouchner affirme n’avoir été à l’époque qu' »un des consultants » employés par la société Imeda, le premier rapport intitulé « Le système de santé au Gabon. Un besoin de solidarité nationale », précise être une commande de M. Bongo « à Imeda et à M. Bernard Kouchner, ancien ministre français de la santé ».

Les pages de couverture portent le nom de M. Kouchner, détaché typographiquement de la mention de ses coauteurs. Seul, M. Kouchner a signé les deux lettres de synthèse datées de février et juin 2004 adressées au président Bongo, lui exprimant à chaque fois sa « plus haute considération » et son « profond respect ». Le rapport final, où figure le logo de « BK consultant », précise qu' »après avoir profité de trois longues entrevues présidentielles, nous avons ramassé nos propositions dans une lettre que nous avons présentée au président de la République gabonaise le 4 juillet 2004 à Paris ».

Pour appuyer ses propositions favorables à une « couverture maladie des pauvres », le document indique que « certains » de ses auteurs ont été « à l’origine de Médecins sans frontières » et veulent « compléter » ce concept par celui de « malades sans frontières ». Tout en décrivant un système de santé « au bord du gouffre », il qualifie le Gabon de « pays (…) de volonté exemplaire », et salue « une gestion plus sérieuse que ses voisins ».

Le second rapport intitulé « Les propositions de réforme » suggère de financer un nouveau système par « redéploiement budgétaire ». Mais le document semble oublier son propre constat : les hôpitaux gabonais sont délabrés parce que l’argent public s’évapore avant d’y parvenir, et que plusieurs projets de réforme sont restés lettre morte « faute d’adhésion et de soutien politique ». Le budget de la santé fait l’objet de « réductions et annulations répétées ». Ainsi, « 70 % des crédits d’investissement » de 2000 ont disparu, précise le document.

A la même époque, un gros rapport du… Quai d’Orsay sur le bilan de l’aide française à la santé au Gabon prend moins de gants. « Manifestement, la santé « publique » n’est pas une priorité et l’Etat ne manifeste aucune volonté d’y remédier », indique ce document qui qualifie de « virtuel » le budget consacré à la vaccination.

Les deux « rapports Kouchner » ont inspiré l’ordonnance « instituant un régime obligatoire d’assurance-maladie » votée par le Parlement gabonais en 2007. Mais la réalité semble figée, comme en témoigne un rapport du Fonds des Nations unies pour l’enfance de 2008 qui déplore la stagnation à un niveau élevé du taux de mortalité infantile gabonais.

Selon plusieurs sources gabonaises, les conclusions de M. Kouchner reprennent des revendications anciennes. « Nous n’avions pas besoin de donner des milliards de francs CFA à M. Kouchner pour savoir ce que tous les professionnels de santé crient depuis des années », dit le député Jean-Valentin Leyama. « Nous ne sommes pas confrontés à un problème de diagnostic mais de financement », estime un autre élu.

Avant M. Kouchner, le ministère gabonais de la santé avait mené une « réflexion » sur une future « couverture maladie obligatoire et universelle », en vain.

Les raisons qui ont conduit le président Bongo à faire appel à M. Kouchner pourraient tenir davantage à la nécessité où se trouvait en 2004 le Gabon, aux prises avec une énorme dette extérieure, d’obtenir des Etats-Unis qu’ils lèvent leur veto à l’attribution d’un crédit du Fonds monétaire international (FMI).

M. Kouchner note dans son rapport qu’il a « rencontré à plusieurs reprises les spécialistes de la santé (…), de la Banque mondiale (…), et eu de nombreux contacts avec les techniciens du FMI ». Un système d’assurance-maladie « serait apprécié des autorités internationales (…) », insiste-t-il. D’autant que, conformément aux canons libéraux, il propose d' »en finir une fois pour toutes avec l’un des dogmes les plus difficiles à combattre, celui de la gratuité des soins ».

En mai 2004, peu après l’entrée en scène du « French Doctor » au Gabon et au lendemain d’une rencontre à Washington entre Omar Bongo et George Bush, Libreville recevra le chèque du FMI.

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